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lundi 15 septembre 2025

Jules Verne : Kereban le têtu

 

 

Avec Kereban le Têtu, Jules Verne concocte pour ses lecteurs un roman comique où les portraits de personnages tirant vers la caricature, les situations absurdes, l’avalanche d’aventures en tout genre s’accumulent pour former un récit pour le moins original, étonnant, amusant. Le contraste entre le têtu Kereban « Quand j’ai dit non, c’est non ! » et le trop conciliant et molasson Van Mitten, son ami, est l’une des constantes et l’un des ressorts comiques du roman. Et que dire du pauvre Bruno, le serviteur, si fier de son embonpoint acquis au service de son maître et qui voit avec consternation son ventre maigrir au cours de ce voyage fou, fou, fou !
Mais, bien sûr, sinon cela ne serait pas Jules Verne, il s’agit d’un roman instructif aussi ! Jules Verne, fidèle à ses habitudes, nous fait visiter les pays traversés et l’Histoire de toutes ses régions riches de leur passé glorieux et qui se rappellent à notre présent, notamment quand on traverse la Crimée, russe depuis la Tsarine Catherine II.

Jugez plutôt du point de départ : Kereban le Turc, richissime négociant en tabac, rencontre à Constantinople son ami, Hollandais, Van Mitten, qui exerce le même métier que lui mais est venu se réfugier en Turquie pour fuir son épouse et ses déboires matrimoniaux. Il paraît que Jules Verne, dans ce roman, règle ses comptes avec sa femme ! 

- …Vous savez, les affaires!… les affaires!… Je n'ai jamais trouvé cinq minutes pour me marier !
- Une minute suffit! répondit gravement Van Mitten, et souvent même … une minute, c'est trop!


Kereban invite son ami toujours suivi de son fidèle serviteur Bruno à venir manger chez lui, dans sa belle propriété à Scutari (l’actuel Üsküdar) sur la rive asiatique du Bosphore, juste en face de Constantinople. Pour cela, il faut traverser le détroit en caïque, ce qui n’est l’affaire que de peu de temps.

 

En l'absence de pont la traversée vers Scutari (Uskudar) se faisait en bateau

Mais voilà que les autorités de Constantinople déclarent que désormais il faudra acquitter un droit de péage pour la traversée. Bien qu’il s’agisse d’une somme dérisoire pour un homme aussi riche que lui, Keraban s’indigne, refuse de payer; il s’entête, Il y va de son honneur ! Il ne paiera pas ! Et pour arriver chez lui, le voilà qui entreprend un voyage autrement coûteux et autrement long (2800 kilomètres), faire le tour de la mer noire avec ses amis. Il lui faudra traverser la Bulgarie, la Roumanie, l’Ukraine, la Russie, la Géorgie et revenir en Turquie sur la rive asiatique.



De plus, allergique au progrès, Kereban refuse d’emprunter des moyens de locomotion moderne comme le train et de s’aventurer sur la mer en bateau car il craint le mal de mer. Et comme vous le savez maintenant, Kereban est têtu ! Bruno résume  la situation ainsi : 

« De toutes les têtes de Turc dans lesquelles on tape dans les foires, je ne crois pas qu’il puisse jamais s’en trouver une aussi dure que celle-là !  « 
- «  Ta comparaison, si elle n’est pas respectueuse, est très juste, Bruno, réplique Van Mitten. Aussi comme je me briserai le poing sur cette tête, je me dispenserai, à l’avenir, de frapper dessus ! »

 Ajoutez à cela qu’il faudra accomplir ce voyage en un temps record car Kereban doit impérativement arriver à Scutari pour le mariage de son neveu Ahmet avec la charmante Amasia, fille de son ami banquier d'Odessa. De plus, le mariage ne peut être reporté car ce serait renoncer à un héritage subordonné à une date précise. Rien n’est simple, tout se complique et ceci d’autant plus que le jeune homme se voit obligé par son oncle de partir avec lui et que, pendant son absence, la jeune fille et sa suivante vont être enlevées par d’affreux bandits qui veulent les vendre à un harem. 
Ah! l’Horreur ! Vous allez en vivre des aventures rocambolesques, vous enliser dans le delta du Danube, échapper à une meute de sangliers, risquer la prison à maintes reprises ou une collision avec un train ( et toujours à cause de l’entêtement de Kereban, le bien nommé) ! Vous allez sauver des jeunes filles en détresse dans une tempête, faire un quasi mariage forcé avec une Kurde, trois fois veuve, la noble Sardapoul ! Pauvre Van Mitten qui fuit son mariage pour tomber entre les pattes de cette matrone ! 
Mais bon à savoir, tout va bien se terminer avec encore moult quiproquos et moult entêtements de la part de notre héros !

Un curieux roman qui m’a bien amusée !


La Bulgarie

 


Comme j’ai lu ce livre non seulement dans le cadre du challenge de Jules Verne, de celui de la Carte d'Europe autour de la mer noire mais aussi de la Bulgarie, je me suis intéressée plus particulièrement à ce pays dans ce roman.
Le roman de Jules Verne  est écrit en 1883. Au début du voyage entrepris pas Kereban, l'écrivain écrit : « La Turquie d’Europe comprend actuellement trois divisions principales : la Roumélie (Thrace et Macédoine), l’Albanie, la Thessalie , plus une province Tributaire, la Bulgarie ».

La Bulgarie  après la victoire Russe contre  les  Ottomans en 1878  et le traité de San Stéfano devait devenir une grande principauté autonome mais la Grande Bretagne et l’Empire austro-Hongrois  s’y opposent  et le traité de San Stefano ne fut jamais appliqué.. 

«  La conséquence majeure, voulue par la diplomatie britannique, fut le traité de Berlin du 13 juillet 1878, qui eut pour but de contenir la Russie, et pour conséquence de réduire la Bulgarie de San Stefano à deux entités séparées : une « principauté de Bulgarie » vassale de l'Empire ottoman (entre le Danube et le Grand Balkan), et la « Roumélie orientale », province autonome de celui-ci (entre le Grand Balkan et le Rhodope). » « Ces deux petites principautés bulgares qui, malgré les réticences des puissances occidentales, parviennent à s'unir en 1885 en un royaume qui fait reconnaître son indépendance en 1908. Pour tenter de retrouver ses frontières de San Stefano, la Bulgarie s'allie à l'Allemagne durant les deux guerres mondiales. En 1946, elle est intégrée dans le « bloc de l'Est » qui se disloque en 1990. Elle est membre de l'Organisation mondiale du commerce depuis 1996, de l'OTAN depuis 2004, de l'Union européenne depuis 2007. (source Wikipédia)

Le soir du second jour les voyageurs atteignent Bourgas bâti sur le golfe du même nom en Roumélie  où ils dorment dans une auberge rudimentaire, puis  la route qui s’écarte du littoral, les ramène le soir à Aïdos jusqu’à Varna.

« Ils traversaient alors la province de Bulgarie, à l’extrémité sud de Dobroutchka, au pied des derniers contreforts des Balkans »
Jules Verne y décrit un passage difficile « dans des vallées marécageuses, tantôt  à travers de plantes aquatiques, d’un développement extraordinaire, dans lesquelles la chaise avait bien de la peine à ne pas glisser, troublant la retraite de milliers de pilets, de bécasses, de bécassines, remisés sur le sol de cette région accidentée. »

  



« On sait que les Balkans forment une chaîne importante. En courant entre la Roumélie et la Bulgarie vers la mer Noire, elle détache de son versant septentrional de nombreux contreforts, dont le mouvement se fait sentir jusqu’au Danube. »
 

Mais bien vite les voilà en Roumanie.


 

Chez Taloiduciné Dasola


Chez Cléanthe



samedi 13 septembre 2025

Odon Von Horvath : Un fils de notre temps


 

  

 Odön Von Horvath

Nationalité : Hongrie 
Né(e) à : Fiume, Autriche-Hongrie , le 09/12/1901
Mort(e) à : Paris , le 01/07/1938
Biographie : 

Né dans une famille noble et catholique, mais aux idées libérales, Ödön von Horváth avait du sang hongrois, croate, tchèque, allemand. Sa nationalité était linguistique : l'allemand, sa langue maternelle. 

Détenteur d'un passeport hongrois, Odön von Horvath se défend toute sa vie d'une appartenance à une nation :"Le concept de partie falsifié par la nationalisme, m’est étranger. Ma patrie, c’est le peuple."

En 1933 il ajoute :  « Notre pays, c’est l’esprit. » 

Fils d'un diplomate austro-hongrois, il grandit dans différentes villes : de Belgrad à Budapest en passant par Vienne, Presbourg et enfin Munich, où il décide de poursuivre des études de germanistique.

Il quitte la ville, sans diplôme, pour s'installer à Murnau et se consacrer entièrement à l'écriture. Près d'un an plus tard, il part pour Berlin où une maison d'édition lui offre un contrat qui lui permet de vivre de sa plume. En 1931, il obtient le prix Kleist pour sa pièce 'Légendes de la forêt viennoise'. Il rejoint Vienne qu'il quittera à son tour pour échapper aux représailles du national-socialisme

Horváth a su en particulier renouveler la tradition du théâtre populaire pour en développer une veine critique, qui n’a rien perdu de son actualité. Von Horváth se réfugie à Paris le 26 mai 1938 avec son amie Wera Liessem pour rencontrer Robert Siodmak et discuter de l'adaptation cinéma de « Jeunesse sans Dieu.» 

Le 1er juin, alors qu'il se promène sur les Champs-Élysées, une tempête déracine un marronnier et une des branches le tue devant le théâtre Marigny

Auteur de dix-sept pièces de théâtre et de trois romans, Odön von Horvath dénonce le fascisme dans ses dernières œuvres. (Wikipédia)

Un fils de notre temps

Comment peut-on adhérer à l’idéal nazi ? Comment un jeune homme né libre peut-il accepter de perdre sa liberté, d’adhérer à une discipline qui ressemble plutôt à un lavage de cerveau? Comment peut-il être amené à tuer ceux qui, hier, lui ressemblaient, comme lui, pauvres, chômeurs, sans avenir, désespérés ?

C’est avec une grande lucidité que, devant la montée du nazisme, Odon Von Horvath écrit  Un fils de notre temps, un livre qui "urge" qui urge"
Van Horvath y décrit la société allemande dont l'économie va très mal après la défaite et le traité de Versailles de 1918, et où le sentiment de la revanche à prendre sur l’humiliation ressentie ne cesse de grandir.

Le chômage touche une grande partie de la population, avec tous ses maux, la faim, la pénurie de logement, le manque de vêtements, le froid, la misère et par dessus tout la perte de l’estime de soi. A force de pointer à la soupe populaire, de vivre d’aumônes, de voler pour manger, le personnage qui parle à la première personne dans ce roman, ne veut plus. Il refuse de continuer ainsi :

«  Je suis un homme honnête, pourtant, et ce n’est que le désespoir de ma situation qui m’a fait bailler ainsi, comme un roseau sous le vent, six sombres années durant. Le chemin penchait toujours plus et mon coeur était toujours plus triste. Oui, j’étais devenu amer. »

Le voilà donc soldat et heureux : il n’a plus faim,  il a un uniforme neuf,  un capitaine qui lui tient lieu de père (le sien, il ne l’apprécie guère !) et surtout il  est est fier de lui-même, de sa vie où tout est réglée, où l’ordre règne, de ses capacités de tireur. Il est prêt  à remplir le rôle qu’on lui demande de tenir car « la patrie ne va bien que si elle se fait craindre c’est à dire quand elle possède une arme affûtée. Et cette arme, c’est nous.  ». 
« Mais un soldat n’est pas un assassin »
leur lance leur capitaine horrifié par les crimes commis par cette armée transformée à machine à tuer et qui ne respecte pas la  déontologie. Quand on est soldat, il faut bien apprendre à tuer ! Quand on est soldat, il faut perdre son bras… pour rien et être exclu comme un chien. Bien vite, le désenchantement s’installe. Et le soldat exhorte un enfant qui le regarde mourir : 

« Et quand tu sera grand, ce sera peut-être une autre époque, et tes enfants te diront : ce soldat n’était qu’un vulgaire assassin - alors, ne m’insulte pas aussi.
Comprends donc : il ne savait pas que faire d’autre, il était un fils de son temps. »


Ce court roman écrit dans un style dépouillé, tranchant, résonne comme un cri en 1940 face à la montée des violences et de l'idéologie nazie mais il est toujours aussi actuel et nous éclaire aussi sur nous-mêmes et sur notre époque, celle de toutes les intolérances, des génocides et des guerres d’expansion qui ravagent le monde.
 

mercredi 10 septembre 2025

Martine Carteron : Les autodafeurs


 

En arrivant en Lozère où je passe mes vacances d’été, je trouve sur ma table de chevet un livre  intitulé Les Autodafeurs de Martine Carteron. Comment est-il arrivé là ? C’est ce que je ne sais pas. Aucune de mes filles ni aucun de mes petits-enfants ne le reconnaît pour sien. Ce qui est sûr, c’est qu’un livre ne se carapate pas tout seul jusque dans ma chambre ! Les araignées, oui ( horreur !) mais les livres non ! Mais  il y a tant de copains invités que… un oubli est vite arrivé. En attendant de retrouver son propriétaire, ce sera le livre parfait pour le pavé de l’été. Trois tomes en un seul volume, 1050 pages.

Pour une fois j’aime le résumé de la quatrième de couverture, alors je le partage avec vous.
«Je m’appelle Auguste Mars, j’ai 14 ans et je suis un dangereux délinquant. Enfin, ça, c’est ce qu’ont l’air de penser la police, le juge pour mineur et la quasi-totalité des habitants de la ville. Évidemment, je suis totalement innocent des charges de «violences aggravées, vol, effraction et incendie criminel» qui pèsent contre moi mais pour le prouver, il faudrait que je révèle au monde l’existence de la Confrérie et du complot mené par les Autodafeurs et j’ai juré sur ma vie de garder le secret. Du coup, soit je trahis ma parole et je dévoile un secret vieux de vingt-cinq siècles (pas cool), soit je me tais et je passe pour un dangereux délinquant (pas cool non plus). Mais bon, pour que vous compreniez mieux comment j’en suis arrivé là, il faut que je reprenne depuis le début, c’est-à-dire, là où tout a commencé.» 


PS: Ce que mon frère a oublié de vous dire c’est qu’il n’en serait jamais arrivé là s’il m’avait écoutée; donc, en plus d’être un gardien, c’est aussi un idiot. "Césarine Mars

Il s’agit d’un livre pour la jeunesse à partir de 12 ans, paru en 2014, que l’auteure a écrit pour son fils et qui a obtenu le prix Les Mordus du Polar 2015.
Tome 1 : Mon frère est un gardien
Tome 2 : Ma soeur est une artiste de guerre
Tome 3 : Nous sommes tous des propagateurs.

Polar ? Je ne sais pas ? Mais pourquoi pas ? Pour moi il s’agit plutôt d’un livre d’aventures, d'Histoire, de science-fiction, que vont vivre Auguste Mars (14 ans), un garçon versé en arts martiaux (il en aura besoin!),  superficiel, accro à la mode, un peu snob,  (il va lui falloir mûrir !) et sa petite soeur Césarine, (7 ans) autiste, un génie qui éprouve quelques difficultés à comprendre la métaphore et les sentiments et qui prend tout au pied de la lettre, ce qui crée des situation pleines d’humour. Voilà pour les deux personnages principaux. 

Autour d’eux gravitent le père qui fait une apparition rapide puisqu’il est tué dès le premier chapitre dans un accident de la route criminel. On apprend qu’il compte sur ses enfants pour protéger le Livre. La mère, professeur d’histoire-géo, férue d’histoire romaine d’où les prénoms de ses enfants ! Elle se révèlera beaucoup moins sans défense que prévu. Et de même les grands-parents. C’est chez eux, en province, que les enfants et la mère vont se réfugier après la mort de leur père, dans une ancienne Commanderie qui est dans la famille depuis des siècles. Ajoutons- y, Marc, le prof de français « le plus cool de la terre », qui plait beaucoup à Auguste dans son nouveau collège, et qui se révèle être, à sa grande surprise, son parrain. Et puis un copain, Néné, un peu marginal, le seul avec qui il parvient à nouer des relations amicales. Enfin Bart, qui s’oppose à ses grosses brutes de frère et à son père, membres actifs des autodafeurs, et qui rejoint  la Confrérie.

La Confrérie lutte depuis des millénaires contre les autodafeurs, ennemis de la culture, destructeurs de livres. Ils ont bien compris que pour prendre le pouvoir et soumettre le peuple à la dictature, c’est au savoir et donc aux livres qu’il faut s’attaquer. C’est un combat toujours renouvelé que mènent tous les gouvernements autocrates, et si les livres, de nos jours, ne sont plus brûlés sur les places dans des autodafés publics, ils peuvent être détruits avec des moyens modernes encore plus performants. Le roman fait allusion, bien sûr, à Fahrenheit 451 de Ray Bradbury.


Un livre pour la jeunesse qui montre l’importance des livres, voilà qui ne pouvait que me plaire !
Pourtant, j’ai trouvé que c’était parfois très violent. On y risque sa vie et on y meurt pour de bon et pas seulement les « méchants » ! Les « gentils » aussi peuvent devenir violents car la guerre n’est jamais positive et corrompt tous ceux qui y participent. Marc y perd son innocence et son âme d’enfant. Mais l’imagination de l’auteur est sans limite, les aventures se succèdent et entraînent loin dans le temps, avec des retours dans le passé et dans l’espace quand les membres de la Confrérie seront obligés de se cacher et de se réfugier dans les sous-sols d’une île. Bref ! La lecture est addictive et on lit le livre en un temps record, sans pouvoir s’arrêter !



 

Ta loi du ciné chez Dasola


Chez Sybilline La petite liste

Chez Moka


lundi 8 septembre 2025

Stephen Greenblatt : Will le Magnifique

 

Will  le magnifique de Stephen Greenblatt est un livre à ne pas manquer pour tous les amoureux de Shakespeare mais  pour les autres aussi car le livre est un puits de science à la fois sur la vie et l’oeuvre du dramaturge mais aussi sur l’histoire anglaise du XVI siècle, sous le règne d’Elizabeth 1er et de Jacques 1er.

Stephen Greenblatt part du constat que l’on connaît peu la vie du personnage ( pas de lettres alors qu’il était séparé de sa famille restée à Stratford quand il vivait à Londres, pas de journal intime, pas de mémoires écrits par ses contemporains ) mais d’abondants documents rendant compte de sa vie officielle, acquisitions de propriétés, recettes des théâtres, certificats de mariage, de baptême, procès, testament et puis… bien sûr, il y a ces œuvres !  Et  si justement celles-ci rendaient compte de sa vie, révélaient ses pensées secrètes, ses sentiments, ses idées, bref ! Et si la biographie du grand dramaturge pouvait se lire à travers et par ses écrits ? C’est ce que va étudier Greenblatt et c’est ce qui rend cette étude si passionnante.

Enfin et pour une fois un biographe, Stephen Greenblatt, qui ne remet pas en cause la paternité des œuvres de Shakespeare mais qui, au contraire, met en lumière pourquoi elle est incontestable. Non qu’il veuille aborder cette question d’ailleurs. Son intérêt est ailleurs. Il part de ce postulat :

 « L’une des caractéristiques fondamentales de l’art de Shakespeare est de ne jamais se couper du réel. Shakespeare est un poète qui remarque que le lièvre traqué est « tout trempé de sueur » ou que l’acteur victime d’opprobre peut se comparer à la main indélébilement tachée du teinturier. »

William Shakespeare est né en 1564 et est mort en 1616. Il est l’aîné des enfants de John Shakespeare et de Mary Arden et a certainement fait ses études de l’âge de sept ans à 13 ans à la Grammar school de sa ville natale Stratford-upon-Avon. Des études entièrement dispensées en latin et consacrées à l’étude de textes religieux mais aussi d’auteurs latins, comme Plaute ou Terence. Les troupes itinérantes qui s’arrêtaient à Stratford ont pu aussi lui donner le goût du théâtre. Mais il n’a pu aller à l’université car son père - qui était gantier et bailli de la ville - ruiné, n’avait plus la fortune nécessaire pour l’y envoyer. Quand il arrive à Londres pour y exercer le métier d’acteur et se mettre à écrire Shakespeare doit se faire un nom. Il fréquente alors le cercle des écrivains et dramaturges, souvent de mauvais garçons, buveurs, ripailleurs, mais aussi espions, voleurs, qui tournent autour du théâtre dont Marlowe, son plus grand rival avant sa mort violente dans une rixe. Le théâtre a cette époque est plus que jamais un commerce et la concurrence y est rude, il faut gagner la protection d’un haut personnage pour survivre et les épidémies de peste qui ferment tous les lieux de loisir plongent souvent la plupart des troupes dans la misère. Ces  poètes sont tous diplômés d’Oxford et de Cambridge forment une caste qui ne doit rien à la fortune ou à la noblesse mais bien au prestige de leurs études. Ils regardent de haut tous ceux qui ne sortent pas de l’université. Ils forment un cercle fermé et snob et sont rapidement jaloux des succès de Will. L’un d’eux, vraisemblablement Robert Greene, traite Shakespeare ainsi :

 « Oui, méfier-vous d’eux : Car il en est un parmi eux, un Corbeau parvenu qui s’embellit de nos plumes, et qui, dissimulant son coeur de tigre sous la peau d’un comédien, s’imagine qu’il est tout aussi capable que le meilleur d’entre vous de grandiloquer des vers blancs et en véritable Johannes-à- tout- faire, il se considère vaniteusement comme l’unique Shakescene (ébranleur de scène) du royaume. »

Et  c’est le même  snobisme qui, de nos jours, refuse  de reconnaître  Shakespeare comme l’auteur de ses œuvres, et pour les mêmes raisons !  Sous prétexte qu’il n’est pas sorti de l’université, qu’il est issu du peuple,  ses détracteurs attribuent ses textes à un aristocrate, un universitaire, comme si un autodidacte  doté d’une mémoire excellente, d’un don aiguisé de l’observation et d’une  grande imagination ne pouvait être capable de faire oeuvre de génie, comme si un acteur qui doit incarner toutes les classes sociales, ne pouvait pas s’identifier à un aristocrate.

« Il convient d’invoquer le pouvoir d’une imagination incomparablement  puissante, un don qui ne dépend pas du fait qu’on a, ou non, mené une vie prétenduement intéressante. De longues et fructueuses études ont démontré comment l’imagination de Shakespeare métamorphose ses sources, car dans la majorité de ses œuvres, il emprunte de matériaux qui circulent déjà et les transforme par la puissance de son énergie créatrice. »

L’érudition, certes Shakespeare peut l’acquérir par ses lectures ( j’ai noté qu’il lisait Montaigne, entre autres !). Mais pour le reste il puise dans le réel, dans ce qu’il a pu observer, dans les  traditions populaires, les coutumes solidement ancrées dans la vie campagnarde. Celle-ci est peinte dans son oeuvre, non comme une pastorale destinée à plaire à la haute société, mais avec des détails vrais. Shakespeare connaît parfaitement les travaux des champs. Son père était fils de métayer et achetait de la laine directement au producteur pour la traiter. Il décrit les conditions de vie du berger, le cycle de saisons, la vie des animaux, les noms des herbes et des fleurs.. La nature est souvent présente dans ses pièces et donne lieu à de très beaux passages lyriques tout en témoignant d’une connaissance intime du monde rural. 

« Le théâtre doit participer à la fois de cette envolée visionnaire de l’imagination et d’un enracinement dans le quotidien, ce quotidien qui constitue une partie intégrante de son imagination créatrice. Shakespeare ne devait jamais oublier le monde quotidien et provincial dont il était issu …. »

On sait peu de choses des années  qui ont précédé l’arrivée de Shakespeare à Londres. On pense qu’il a peut-être travaillé comme gantier avec son père et le biographe note l’abondance des  références relatives à ce métier du cuir dans  ses pièces.
 

« Romeo aimerait être le gant qui recouvre la main de Juliette, afin de pouvoir lui effleurer la joue. Dans Le Conte d’Hiver le colporteur transporte dans sa musette « des gants comme roses parfumées » ? Le parchemin n’est-il pas en peau de mouton  ? se demande Hamlet. « si Monseigneur et aussi de veau. » lui répond son ami Horatio.. Dans La comédie des erreurs, quant à l’officier, engoncé dans son uniforme du cuir, Shakespeare le compare à « une basse de viole dans un étui de cuir ». ( etc…) En créant le monde enchanté du Songe d’une nuit d’été, Shakespeare s’amuse même à miniaturiser l’art du cuir : la « chatoyante » peau abandonnée par le serpent qui mue est assez large pour un manteau de fée et « l’aile de cuir » des chauves-souris pour celui des elfes.

 Peut-être a-t-il aussi travaillé dans une étude d’un notaire car il il a le vocabulaire  d’un juriste et plus tard il se révélera très compétent pour gérer ses biens, acquérir des propriétés et se doter d’une solide fortune. Il a certainement commencé sa carrière théâtrale comme acteur avant de se rendre à Londres.

Tout en éclairant la vie de Shakespeare par son oeuvre, Greenblatt  brosse un tableau de  la Renaissance anglaise, ce XVI Siècle dominé par la royale figure d’Elizabeth puis Jacques 1er, un siècle tourmenté, où règne la discorde entre catholiques et anglicans et dans lequel l’héritage religieux de Henri VIII a fait de la reine le chef de l’église anglicane. Les grandes familles catholiques complotent dans l’ombre et lorsque le pape s’en mêle et excommunie la souveraine, la peur du complot, la suspicion, les rumeurs d’assassinat, font peser une chape de plomb sur la société. Beaucoup de nobles perdent la vie, leur tête exposée sur une pique à l’entrée du pont de Londres. Les puritains qui vont encore plus loin dans la répression que la reine, attaquent le théâtre qu’ils accusent de tous les vices, et sont aussi une force délétère qui ajoute encore à ce climat de peur et de tension.
 Entre une mère catholique et un père qui de par ses fonctions publiques affiche son adhésion à l'église anglicane mais est peut-être resté secrètement catholique, on comprend que William Shakespeare se soit montré discret sur sa vie privée. De même qu’il devait se montrer habile dans ses pièces pour ne pas heurter l’orgueil des nobles et des souverains surtout quand il peignait leur règne et leurs moeurs.  Et ce d’autant plus qu’il vit dans un société hiérarchisée à outrance, les hommes dominent les  femmes, les personnages  âgées les plus jeunes, les classes sociales sont extrêmement marquées et la naissance dans l’une d’elles crée un déterminisme dont il est malaisé de s’échapper. Les supérieurs attendent respect et exigent de recevoir des marques de déférence dues à leur rang, l’acteur et le dramaturge n’étant pas beaucoup plus qu’un serviteur chargé de les divertir et  ne bénéficiant pas même de l’impunité du Fou du roi. Un siècle inquiétant et pourtant riche au niveau culturel où le théâtre acquiert peu à peu et parfois difficilement ses lettres de noblesse. Un grand plaisir de lecture ! 


samedi 6 septembre 2025

Jules Verne : Le rayon vert

 

  

Dans son roman Le rayon vert Jules Verne imagine que son héroïne, la charmante écossaise Helena Campbell - orpheline élevée par ses deux oncles qui veulent la marier-  leur répond qu’elle ne se mariera que lorsqu’elle aura pu observer le rayon vert. Celui-ci est le dernier rayon que le soleil lance avant de se coucher sur la mer et de disparaître à l’horizon, dans un  ciel  pur, débarrassé de toutes particules et  nuages…
 Cette Écossaise, dont la « fibre patriotique vibrait comme la corde d’une harpe », est dotée d’un tempérament poétique et rêveur à l’extrême. Son caractère présente une dualité marquée : elle peut se montrer tantôt sérieuse et réfléchie, tantôt superstitieuse et fantasque. Bonne et charitable « elle s’appliquait à justifier le vieux proverbe gaélique : “Puisse la main qui s’ouvre être toujours pleine !” »

 

Le rayon vert du film de Rohmer

Pour moi Le rayon vert a une résonance particulière. Je me souviens d’avoir essayé, en vain, de l’observer en Lozère avec mes amis cinéphiles, tous amoureux d’Eric Rohmer dont nous aimions le film éponyme qui venait de sortir. Nous avions peu de chance de l’apercevoir en montagne, il faut bien le dire, mais cela avait peu d’importance puisque j’ai toujours cru que le rayon vert n’existait pas. Or, récemment, en cherchant des images du film sur le net,  je me suis aperçue que non seulement Rohmer ( ou plutôt son équipe) l’avait filmé ( au ralenti) et que ce n’était pas un trucage comme je l’avais cru jadis mais une réalité.  

Ainsi le « mythique »  rayon vert, qui donne un pouvoir exceptionnel de lucidité sur soi-même et sur les autres, celui qui permet d’y voir plus clair dans ses sentiments, est tout simplement un phénomène physique rare qui ne dure qu’une seconde ou deux d'où la difficulté de le saisir et encore plus de le filmer !
« Le rayon vert est  la combinaison de deux phénomènes différents, la dispersion et la diffusion de la lumière par l’atmosphère  terrestre (beaucoup plus épaisse à l’horizon) qui joue le rôle d’un prisme. »


 

Le rayon vert

Mais revenons à nos moutons ou plutôt au roman de Jules Verne qui a d’ailleurs inspiré Eric Rohmer !

Il faut bien l’avouer Sam et Sib Melvill adorent leur nièce et sont toujours prêts à faire ses quatre volontés, mais ils ne sont pas très au fait des sentiments féminins quand ils cherchent à la marier avec le savant (et prétentieux), insipide, pour ne pas dire définitivement rasoir, Aristobulus Ursiclos. Déjà avec un nom pareil, le lecteur le moins fûté comprend que le jeune homme est in-mariable. 

Si bien que nous nous lançons avec Helena et ses oncles à la recherche du rayon vert qui décidera de son mariage. Au cours de cette quête qui se passe en Ecosse nous sommes rejoints par le jeune et courageux Olivier Sinclair, dernier « rejeton d’une honorable famille d’Edimbourg », qui s’est illustré devant la jeune fille par un héroïque sauvetage en mer dans le gouffre de Corryvrekan.

 « Le gouffre de Corryvrekan, justement redouté dans ces parages, est cité comme l’un des plus curieux endroits de l’archipel des Hébrides. Peut-être pourrait-on le comparer au raz de Sein, formé par le rétrécissement de la mer entre la chaussée de ce nom et la baie des Trépassés, sur la côte de Bretagne, et au raz Blanchart, à travers lequel se déversent les eaux de la Manche, entre Aurigny et la terre de Cherbourg. La légende affirme qu’il doit son nom à un prince scandinave, dont le navire y périt dans les temps celtiques. En réalité, c’est un passage dangereux, où bien des bâtiments ont été entraînés à leur perte, et qui, pour la mauvaise réputation de ses courants, peut le disputer au sinistre Maelström des côtes de Norvège. »
 

Pas besoin du rayon vert pour savoir ce qui va arriver !

« Peintre distingué, qui aurait pu vendre ses œuvres à haut prix s'il l'eût voulu, poète à ses heures — et qui ne le serait à un âge où toute l'existence vous sourit ? —, cœur chaud, nature artiste, il était pour plaire et plaisait sans pose ni fatuité. (…) »

D’habitude, c’est le savant qui, dans Jules Verne, a le beau rôle. Ce n’est pas le cas ici ! Aristobulus va se rendre de plus en plus insupportable car le roman ne manque pas d’humour et chaque fois que les jeunes gens vont enfin pouvoir admirer le rayon vert, que toutes les conditions sont réunies, qui surgit entre eux et l’horizon ? Devinez ? Même le lecteur a envie que le fâcheux jeune homme reste définitivement suspendu à la souche qui l’arrête quand il tombe de la falaise et d’où Olivier, charitable, le décroche ! Qui plus est, l’explication qu’il donne du rayon vert est fausse… mais on ne le savait pas à l’époque ! Pardonnons-lui !

Le roman est aussi un prétexte à une visite de l’Ecosse, de son littoral et de ses îles, de la mer, qui donne lieu à des descriptions pittoresques et détaillées du pays, ce qui n’est pas l’un des moindres intérêts de la lecture.

« C’est un curieux emplacement, ce terrain semé de pierres funéraires, où dorment quarante-huit rois écossais, huit vice-rois des Hébrides, quatre vice-rois d’Irlande, et un roi de France, au nom perdu comme celui d’un chef des temps préhistoriques. Entouré de sa longue grille de fer, pavé de dalles juxtaposées, on dirait une sorte de champ de Karnac, dont les pierres seraient des tombes, et non des roches druidiques. Entre elles, couché sur la litière verte, s’allonge le granit du roi d’Écosse, ce Duncan illustré par la sombre tragédie de Macbeth. De ces pierres, les unes portent simplement des ornements d’un dessin géométrique ; les autres, sculptées en ronde bosse, représentent quelques-uns de ces farouches rois celtiques, étendus là avec une rigidité de cadavre.
Que de souvenirs errent au-dessus de cette nécropole d’Iona ! Quel recul l’imagination fait dans le passé, en fouillant le sol de ce Saint-Denis des Hébrides ! »

 


 


 

vendredi 5 septembre 2025

Roger Vercel : La fosse aux vents Ceux de la Galatée, La peau du diable, Atalante

 

La fosse aux vents de Roger Vercel regroupe trois volumes respectivement appelés : Ceux de la Galatée, La peau du Diable, Atalante. Tous trois sont consacrés à un personnage récurrent, Pierre Rolland, la forte tête, l’orgueilleux, que l’on voit évoluer d’un roman à l’autre de simple matelot à capitaine, au cours de son embarquement sur trois voiliers différents « aux temps héroïque des Cap-Horniers. » comme l’annonce le sous-titre du roman. La trilogie s’étend de la fin du XIX siècle à la première guerre mondiale, à une époque où les splendides voiliers, fierté de leur équipage, vont être peu à peu supplantés par les bateaux à vapeur.   


 Ceux de la Galatée

En 1897, le long-courrier Galatée part du port de Dunkerque livrer du charbon au Chili et retournera en s’arrêtant à  San Francisco pour charger du grain.
Ce navire est commandé par  le capitaine Le Gaq et son second Monnard. Il y a aussi le pilotin Jean Marquet, un adolescent que son riche père oblige à embarquer pour lui forger le caractère. Pauvre gamin en butte aux railleries de l’équipage, et formé sur le tas, sans ménagement. Le marin Pierre Rolland le prend en grippe, haïssant sa faiblesse et plein de mépris pour son ignorance. Rolland  est responsable d’un accident qui risque de coûter la vie au jeune homme. Au cours du voyage au cours duquel le passage du Cap Horn se révèle être un morceau de bravoure, le second, Monnard, s'aperçoit que Pierre Rolland a l’étoffe d’un chef. Il lui propose de reprendre des études pour devenir capitaine. Il faudra vaincre l’orgueil de Rolland qui vient d’un milieu modeste, sa crainte qu’on lui fasse l’aumône, ses doutes et ses révoltes, pour que celui-ci accepte l’hospitalité du frère de Monnard, un curé, un beau personnage, et pour qu’il accepte de suivre des cours auprès du père Rémy… Mais là encore son caractère orgueilleux et peu conciliant blessent ceux qui pourtant l’ont l’aidé.


La peau du diable

Dans La peau du diable, Pierre Rolland est devenu second sur L’Antonine commandé par le capitaine Thirard. Il embarque à Port-Talbot près de Bristol, et se rend en Nouvelle-Calédonie pour charger du minerai de nickel. Le capitaine Thirard souffre d’un cancer de la gorge mais conserve jusqu’au bout sa dignité et assume ses responsabilités envers son navire malgré des souffrances atroces. Il gagne le respect de Rolland et de son équipage.


Atalante 

Le capitaine Pierre Rolland est d’abord commandant de l'Argonaute mais son second, Fourment, doit débarquer suite à un accident survenu lors du voyage aller. À l'arrivée en France, le lieutenant Gicquel qui a fait fonction de second depuis l'accident, invite le capitaine Rolland au mariage de sa soeur. C’est là que Rolland rencontre Geneviève, la soeur de la mariée. Rolland qui, jusqu’alors, n’estimait pas les femmes, est séduit par l’intelligence et la finesse de la jeune femme. Il l'épouse avant d'embarquer à bord de l'Atalante, en partance du Havre pour San Francisco. Malgré les réticences de Rolland, Geneviève embarque avec lui. Elle est persuadée que, comme sa mère l’a fait avant elle, elle pourra suivre son mari dans ses voyages au long cours et éviter les séparations et l’attente qui sont le sort habituel des femmes de marin.


Les personnages

Vercel a le don de créer des personnages complexes, vrais, rudes, parfois primitifs, et de nous faire partager leur vie, comprendre leur mentalité. 
Je dois dire que j’ai trouvé Pierre Rolland extrêmement antipathique. Il méprise les femmes tout en se servant d’elles pour ses besoins sexuels. Et même lorsqu’il trouve une femme qu’il admire assez pour l’épouser, il la méprisera dès qu'elle lui paraît en état de faiblesse, victime du mal de mer et sa santé s’étiolant. Et que dire du racisme manifesté par Rolland envers les canaques que les missionnaires s’efforcent d’instruire - en vain-  d’après lui : « Tout ce qu’ils parvenaient à loger dans ces cervelles primitives leur demeurait aussi étranger que le dressage des chiens savants ». C’est assez abject ! 

Il a, bien sûr, des qualités, sa compétence, son endurance, son courage et sa loyauté envers ses chefs, ses hommes et son navire mais comme le disent ses pairs, capitaines comme lui, même s’ils le respectent, ils ne pourront jamais se lier d’amitié avec lui.
L’épouse de Pierre Rolland qui embarque avec lui sur l’Atalante est une belle figure féminine, fine, intelligente, courageuse, qui fait ressentir d’autant plus l’incapacité de son mari à éprouver de l’empathie, et met en relief d'une manière révoltante son égoïsme, son mépris des femmes et des faibles. 


Un roman d’aventure et un hommage aux marins disparus 

Les trois volumes se lisent comme des romans d’aventures et, si l’on est parfois noyé sous le flot du vocabulaire de la navigation à voile, la narration, vivante,  nous entraîne dans des aventures  dangereuses et passionnantes.
 Vercel décrit la vie des Cap-Horniers, et la richesse de la description, la connaissance des manoeuvres complexes à effectuer, tout donne au lecteur l’impression que l’auteur est un marin chevronné, qui a vécu bien des aventures extrêmes en haute mer. Or, il n’en est rien, il n’est allé qu’une fois en mer sur un bateau de pêche et n’a jamais effectué de voyages au long cours, ce qui rend encore plus incroyable sa maîtrise de la navigation à voiles, sa documentation des conditions de travail effroyables des Caps-Horniers, sa compréhension de la mentalité des marins du bas de l’échelle à la fonction la plus haute de capitaine. C’est que pour écrire ces romans il a rencontré de vieux marins qui ont vécu la fin de ces temps héroïques, collecté leurs souvenirs, leurs aventures, il s’est nourri de leurs récits, de leurs croyances, de maintes anecdotes. Il a  vécu à travers eux les difficultés du métier mais aussi ressenti la fierté de ces hommes qui étaient conscients de la beauté et des qualités de leur navire qu’ils aimaient d’amour et qu’ils voyaient sur le point de disparaître au profit de la navigation à vapeur qui allait les remplacer. Ils étaient à la fois victimes de conditions de vie éprouvantes, de l’exploitation exercée sur eux par des armateurs qui les payaient mal et les accablaient de travail. Ils étaient parfois révoltés, ombrageux, prompts à prendre la mouche. Ils étaient aussi les héros orgueilleux d’un quotidien qui ressemblait bien à une épopée que Roger Vercel a su rendre d’une manière magistrale.


 


Chez Moka 540 pages


Chez Sibylline  540 pages


vendredi 25 juillet 2025

Molière : Tartuffe / Hugo Mille francs de récompense /Wilde De profundis

Au théâtre l'Albatros
  

Et oui bientôt la fin du festival. Je pars le 25 dans mes Cévennes où je ne pourrai pas écrire tout de suite mais je reprendrai au mois d'août.  Aussi je me dépêche de dire quelques mots sur les spectacles que j'ai vus. Il m'en reste encore beaucoup à vous présenter. 

 
MOLIÈRE LE TARTUFFE
 
  
COLLEGE DE LA SALLE  MOLIERE Le Tartuffe  13H45 1H30  relâche  le 10 
 
présentation de la compagnie : 
"Savez-vous, après tout, de quoi je suis capable ?" (Acte III sc 4)
description
Dans une mise en scène épurée, la part belle est faite au jeu, au texte, aux thèmes et aux figures intemporel.le.s que nous offre le génie de Molière.

François Clavier, inspiré par son professeur Antoine Vitez, fait le rapprochement entre "Le Tartuffe" et "Théorème" de Pasolini : ce qui fascine chez Tartuffe, c'est son pouvoir de séduction. L'emprise qu'il a sur Orgon, c'est celle qu'il doit avoir sur le public. C'est le beau jeune homme blond, c'est le démon déguisé en ange. C'est, surtout, celui dont on n'aurait pas cru qu'il irait jusque là, celui qu'on ne soupçonnait pas, celui dont on ne se méfiait pas.

Le cadre de cette comédie sombre et sensuelle : celui de la famille bourgeoise - l'univers de prédilection de Molière, qui lui consacre ses plus grandes pièces. Les phénomènes de crise qui la traversent, l'auteur nous les présente comme de vrais chemins de résolution. Les conflits souterrains qui agitent ce microcosme trouvent leur issue dans l'épreuve de ces crises, dans cette entropie qui passionne Molière et qu'il nous donne à voir comme le point d'équilibre, le début de l'harmonie."

 Mon avis

La pièce a un début un peu difficile et le passage du "pauvre homme" est assez plat et ne provoque pas le rire. Mais par la suite Dorine la servante se déchaîne et prend de l'assurance, Mariane, la fille d'Orgon,  joue très bien la stupéfaction quand elle apprend le projet de son père de la marier à Tartuffe et c'est à Dorine d'organiser sa défense, de la réconcilier avec Valère. La belle-mère Elmire reçoit avec dédain les déclarations amoureuses de Tartuffe. Elle a beaucoup de classe, ce qui rend les propos de l'hypocrite encore plus infâmes..  J'ai aimé leur interprétation de ces personnages. 

J'ai trouvé, de plus, que c'était une  bonne idée et originale de la part du metteur en scène François Clavier d'avoir confié l'interprétation de Tartuffe à un jeune comédien.  D'habitude, celui-ci est toujours interprété par un homme d'âge mûr.  Ici, le comédien est un Tartuffe débutant, qui se rend odieux et indigne par son audace et son sang froid lorsqu'il est découvert. Mais sa jeunesse, effectivement, peut expliquer la séduction qu'il exerce sur ceux qui ne jugent que par l'apparence. Cela permet de comprendre aussi pourquoi il tombe aisément dans le piège qu'Elmire lui tend. Une interprétation vraiment intéressante.  Un bon spectacle !



équipe artistique
François Clavier - Mise en scène
Léna Allibert-My - Interprétation
Gaspard Baumhauer - Interprétation
Marie Benati - Interprétation
François Clavier - Interprétation
Alex Dey - Interprétation
Yoachim Fournier-Benzaquen - Interprétation
Leslie Gruel - Interprétation
Taddéo Ravassard - Interprétation
Guillaume Villiers-Moriamé - Interprétation
Anaïs Ansart-Grosjean - Lumière
JY Ostro-0679151352 - Diffusion
Collectif Nuit Orange
Compagnie française
Compagnie professionnelle

VICTOR HUGO MILLE FRANCS DE RECOMPENSE

 3S - LE SEPT  Victor Hugo Mille francs de récompense  du 4 au 26 juillet relâche les 7, 14, 21 juillet 20h35 1h30      


 présentation de la compagnie : 

"Glapieu, un ancien bagnard en cavale, veut se repentir en accomplissant un acte immense : sauver Cyprienne et sa mère, au bord de l'effondrement. Mais sur sa route se dresse Rousseline — froid, puissant, prêt à broyer les faibles pour asseoir son empire. Un monstre en cravate, plus dangereux qu’un fusil.
Un combat entre le bien et le mal, s’engage.
Glapieu agit-il pour se racheter… ou simplement par pur humanité ?
Un drame social haletant, tendre et parfois comique, écrit par Victor Hugo et brûlant d’actualité."

 Mon avis

 Léonie a beaucoup aimé. J'étais contente qu'elle découvre une pièce de Victor Hugo rarement jouée. Mais les comédiens ont tout simplement taillé dans la pièce et passé sous silence le magnifique éloge de la Marseillaise. Et c'est dommage car cela enlève le panache de la pièce qui, de plus, donnait tout son sens à ce texte sur l'injustice sociale dans lequel un bagnard vient au secours des femmes opprimées et lésées par un riche, malhonnête, au coeur dur ! 

auteur
De Victor Hugo
équipe artistique
Arnaud Fiore - Mise en scène
Stanislas Bizeul - Interprétation
Raphaël Duléry - Interprétation
Arnaud Fiore - Interprétation
Sylvain Gavry - Interprétation
Tess Lepreux - Interprétation
Sophie Perron - Interprétation
Charlotte Calmel - Diffusion
Caviars sur jerrican
Compagnie française
Compagnie professionnelle

OSCAR WILDE DE PROFUNDIS

 

L’ALBATROS De Profundis Wilde 16H30

Excellent interprétation qui m'a donné l'envie d'en savoir plus sur Oscar Wilde. Il a écrit cette lettre à  son amant quand il était en prison. Une belle réflexion sur la valeur de la souffrance qui permet d'accéder à l'humilité et sur l'amour nécessaire pour continuer à vivre.  Le comédien qui dit ce texte difficile et poignant est Josselin Girard et je l'avais déjà apprécié dans Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute. Les deux pièces sont mises en scène par Bruno Dairou.

auteur⸱ice
De Oscar Wilde
équipe artistique
Bruno Dairou - Mise en scène
Josselin Girard - Interprétation
Philippe Hanula - Photographie
Arnaud Barré - Création lumière
Solenne Deineko - Régie
Cie des Perspectives
Compagnie française
Compagnie professionnelle