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vendredi 14 mars 2025

Challenge Bulgarie : Bilan provisoire et Idées de lecture

 BILAN BULGARIE ET IDÉES DE LECTURE

 


 


Claudialucia

 Challenge Bulgarie : Littérature Histoire Art qui se joint à moi ?

 Kapka Kassabova : Elixir

Ivan Vazov : sous le joug

Le peintres bulgares : Vladimir Dimitrov Le Maître et Radi Nedelchev

Yordan Yolkov Un compagnon mon billet I

Yordan Yovkov Soirée étoilée mon billet

 Elitza Guieorgieva : Les cosmonautes ne font que passer


Fanja

Le pays du passé de Gueorgui Gospodinov

Miriam :

Theodora Dimova : Les dévastés

Kapka Bassabova Elixir ou la vallée de la fin des temps

Kapka Kassabova : L'esprit du lac 

Kapka Kassabova : Lisière

Marie Kassimova-Moisset :  Rhapsodie balkanique 

Angel Wagenstein :  Adieu Shangaï

Angel Wagenstein : Le pentateuque ou les cinq livres d'Israel

Jules Verne : Kereban le têtu 

Jules Verne : Le pilote du Danube 



Rappel du challenge :

Je pars en voyage en Bulgarie au mois de mai et je commence à lire des livres d'auteurs bulgares fort intéressants.  Qui veut me rejoindre pour découvrir la littérature bulgare ? 

Il s'agit d'une littérature peu connue. Personnellement, je n'avais rien lu jusqu'à maintenant. J'ai commencé avec quelques titres, c'est pourquoi je publierai dès le mois de Mars. Mais la date du début du challenge sera au Mois d'Avril pour vous permettre de trouver des titres. j'ai pioché, en particulier dans les nombresues lectures de Miriam.

Donc, à partir du mois de Mars ou Avril jusqu'à la fin septembre, je propose que l'on découvre la littérature bulgare mais aussi l'histoire du pays et les arts, peintures, icônes, fresques, architecture...

 Laissez vos liens ici.

 




jeudi 13 mars 2025

Jorge Gonzales et Olivier Bras : Maudit Allende


 

Maudit Allende de Olivier Bras et Jorge Gonzales est une bande dessinée dont le titre m’étonne dès le début, moi qui ai toujours pensé à Allende comme à un homme courageux, un  président élu par son peuple, assassiné par la junte militaire aux ordres des Etats-Unis et de Nixon-Kissinger. Un adversaire du capitalisme américain.
Maudit Allende ? A moins que cela soit tout simplement une antiphrase ?

Mais non ! Allende est maudit aux yeux des parents du jeune Léo qui ont préféré s’exiler en Afrique du Sud lorsque celui-ci est porté au pouvoir. Il est maudit aux yeux des bourgeois chiliens, des riches propriétaires, parce qu’il a voulu partager les terres, nationaliser les mines, redistribuer les richesses, apporter plus de justice sociale.

Allende promet de nationaliser les mines et de donner un salaire décent aux mineurs


Léo qui ne connaît pas son pays ne s’est pas trop posé de questions pendant toute son enfance sauf lors d’une visite d’un cousin de son père qui déplore qu’Allende ait été trahi par Pinochet. Il lui laisse, caché dans un livre, le discours de Salvador Allende du 11 septembre 1973, jour où le palais de la Moneda a été bombardé et où le président s’est donné la mort.


 bombardement et incendie du palais de la Moneda : 11 septembre 1973

Devenu adulte, le jeune homme, cherche à se faire une idée sur ce qui s’est passé. Dans un parallèle, la BD retrace le vie des deux hommes, Allende et Pinochet, de leur enfance à la mort d’Allende et à la prise de pouvoir de Pinochet avec la répression sanglante qui suivit.
Revenu au Chili, Léo accompagné de Victoria, sa fiancée, journaliste, enquête sur les tortures, les disparitions, les assassinats dont s’est rendu coupable le gouvernement de Pinochet. Léo est encore au Chili quand il assiste le 3 mars 2000 au retour de Pinochet arrêté en Angleterre en 1998, renvoyé dans son pays prétendument pour des raisons de santé. Et il voit l’homme assis sur un fauteuil roulant se lever, offrir un sourire triomphal à la presse, saluer ses proches…

« Ses partisans se sont rassemblés dans le centre de Santiago, aux alentours de l’hôpital militaire. Ils s’amusent du mauvais tour joué par Pinochet pour échapper aux Européens. »

Au moment de son départ, il entend la confession d’un chauffeur de taxi qui faisait son service militaire au moment des faits et qui avoue avoir reçu l’ordre de transporter des cadavres dans une ambulance pour les jeter dans la rivière Mapocho à Santiago.

«  Ces cadavres me hantent. Je vis avec la peur d'être un jour poursuivi pour tout cela. Mais j'avais besoin de pouvoir le raconter enfin".

Après cela, Léo  a compris qui était Pinochet !  Mais quand il écrit à ses parents restés en Afrique du sud, on dirait bien qu’il s’en lave les mains :

« Les deux camps restaient irréconciliables, trente ans après le coup d’état. Et je ne me voyais pas vivre  dans un pays incapable de partager cette histoire commune».

Que dire de cette BD ? Les évènements paraissent racontés parfois de manière superficielle; tout est survolé. Ce à quoi il fallait s’attendre. Comment résumer trente années de cette tragique histoire en quelques pages ? J'ai eu parfois une impression de décousu et de fouillis à la fois dans le dessin et le récit. Tout est flou comme les belles et glaçantes peintures aux coloris sombres de Jorge Gonzalès, qui baignent dans le brouillard. 

Et la conclusion ? Veut-on ménager les deux parties dans ce désir de monter les défauts de l’un et de l’autre ? Est-ce par souci d’impartialité ?  Mais comment rester sans réaction face à à un coup d'état qui usurpe un pouvoir légitime, une Junte militaire appuyée par les Etats-Unis qui torture et supprime ses opposants ? Comment croire à la réconciliation alors qu’il y a toujours des victimes qui n'ont pas été retrouvées au Chili, toujours des familles qui ne savent pas ce que sont devenus les leurs ? Alors qu'il y a toujours des bourreaux qui échappent à la justice. J’avoue que je n’ai pas trop su comment recevoir ce récit et j'ai trouvé cette conclusion difficile à interpréter.


Lettre à Kissinger : Julos Beaucarne




Kissinger avec Nixon ont encouragé et soutenu le coup d'état du 11 septembre 1973.  Le socialiste Allende et ses réformes gênent les Etats-Unis, alors on s'en débarrasse en s'appuyant sur l'armée.

Kissinger déclare :

"Je ne vois pas pourquoi nous devons rester les bras croisés et regarder un pays devenir communiste en raison de l'irresponsabilité de sa population". "Ces questions sont bien trop importantes pour que les électeurs chiliens puissent décider eux-mêmes."  

Julos Beaucarne dans cette chanson en forme de lettre fait allusion au chanteur populaire chilien Jara emprisonné avec des milliers d'opposants au coup d'état fasciste à l'Estadio Chile (aujourd'hui nommé stade Víctor Jara en mémoire de son martyre) puis à l'Estadio Nacional avec de nombreuses autres victimes de la répression qui s'abat alors sur Santiago. (wikipédia ici). Il apparaît dans cette BD.

 (* Kissinger, prix Nobel de la paix, il sera aussi poursuivi par plusieurs tribunaux comme criminel de guerre ! )

Jara


Challenge Littérature Chilienne che Je lis Je blogue


J'veux te raconter Kissinger


L'histoire d'un de mes amis


Son nom ne te dira rien 


Il était chanteur au Chili

Ça se passait dans un grand stade


On avait amené une table


Mon ami qui s'appelait Jara


Fut amené tout près de là

On lui fit mettre la main gauche


Sur la table et un officier


D'un seul coup avec une hache


Les doigts de la gauche a tranché

D'un autre coup il sectionna


Les doigts de la dextre et Jara


Tomba tout son sang giclait


6000 prisonniers criaient

L'officier déposa la hache


Il s'appelait p't'être Kissinger


Il piétina Victor Jara


Chante, dit-il, tu es moins fier

Levant les mains vides des doigts


Qui pinçaient hier la guitare


Jara se releva doucement


Faisant plaisir au commandant

Il entonna l'hymne de l'U


De l'unité populaire


Repris par les 6000 voix


Des prisonniers de cet enfer

Une rafale de mitraillette


Abattit alors mon ami


Celui qui a pointé son arme


S'appelait peut-être Kissinger

Cette histoire que j'ai racontée


Kissinger ne se passait pas


En 42 mais hier


En septembre septante trois


mardi 11 mars 2025

Elitza Guieorguieva : Les cosmonautes ne font que passer

 

 

Le vrai ou le faux

Elitza Guieorguoieva, née à Sofia en 1982, vit en France


"Ton grand-père est communiste. Un vrai, te dit-on plusieurs fois et tu comprends qu’il y en aussi des faux. C’est comme avec les Barbie et les baskets Nike, qu’on peut trouver en vrai uniquement si on possède des relations de très haut niveau. Les tiennes sont fausses… "

Ce passage du roman Les cosmonautes ne font que passer d’Elitza Guieorguieva, dans un chapitre intitulé Le vrai ou le Faux, donne le ton. C’est par l’humour que l’écrivaine nous amène à voir son pays à travers le regard d’une petite fille.  Nous sommes en Bulgarie communiste, l’attrait du capitalisme même chez les enfants est puissant et la question du vrai ou du faux ne touche pas, comprend notre héroïne, que les baskets et les Barbies mais aussi les hommes et les gouvernements. Ainsi son grand-père adoré est un « vrai communiste », elle jouera sur ce comique de répétition à plusieurs reprises. Il s’est battu contre le fascisme en résistant dans les montagnes de son pays (allié aux nazis), il n’a tiré aucune richesse, aucun pouvoir, de son engagement. Et puis, il y a les faux, et oui, ceux qui sont au pouvoir, qui ont exercé la répression, qui ont installé la dictature comme Todor Jivkov*, qui semble être dans le collimateur de ses parents. Ceux-ci s’enferment dans la salle de bain et font couler de l’eau pour couvrir leurs critiques et leur colère. La fillette se demande bien pourquoi. Elle-même est trop jeune pour souffrir de l’embrigadement, des discours tout faits, imposés, comme ceux de la camarade directrice de l’école, des journaux qui déforment la vérité, du manque de liberté. Elle porte un regard innocent et sans à priori sur ce qui l’entoure. Mais nous, lecteurs, bien sûr, nous prenons conscience du manque de liberté et de la corruption du pouvoir puisqu’il faut avoir des « relations » pour obtenir ce qui est "vrai". Ce roman est un vrai enchantement tant le ton est vif, amusant, plein de fraîcheur comme la petite fille qui raconte son histoire. Elle n'est pas malheureuse avec une imagination délirante, des parents aimants et, chaque année, une lettre au Père Gel qui lui apporte un cadeau. ( Le Père Noël n'est pas à la mode dans la Bulgarie communiste).

Une vocation de cosmonaute

Youri Gagarine


L’héroïne de ce roman n’a que sept ans lorsqu’elle entre à l’école Youri Gagarine dans une Bulgarie sous contrôle soviétique. Le sourire du premier homme de l’espace, le sapin que le cosmonaute a planté devant l’établissement scolaire, lors d’un visite en Bulgarie, emplit l’enfant de rêve et lui donne envie de devenir cosmonaute. Et ce n’est pas gagné même si elle s’entraîne à l’apesanteur et espère avoir un soutien de « son amie éternelle », Constanza, plutôt portée sur la toilette, les robes fluo et la gymnastique rythmique.  Ses parents mettent beaucoup de mauvaise volonté pour booster sa carrière ! Elle cherche à convaincre son chien Joki, pas obligatoirement motivé lui aussi, de tenter l’aventure spatiale. Ainsi quand son grand-père, le seul qui la soutienne, l’amène au musée des cosmonautes, Joki ne semble pas toucher par la grâce en regardant l’image de Laïka, la première chienne de l’espace. Par contre…

« Il montre bien plus de respect à Ivan, le premier chien bulgare destiné aux vols spatiaux, mort d’une crise d’asthme lors de l’entraînement. Son corps empaillé est exposé au milieu de la salle et Joki, après un moment de choc, se met à aboyer avec beaucoup d’émoi, à la suite de quoi vous êtes priés de quitter les lieux plus vite que prévu. »

Nirvana et transition démocratique

Punk

Enfin vient la chute du mur de Berlin! La fin du communisme ! La liberté ! La fillette entre dans l’adolescence. Elle aura quatorze ans à la fin du roman. Elle renonce à sa vocation de cosmonaute ayant appris que tout était faux dans l’Odyssée de son héros : Youri a failli griller dans sa capsule, et le sapin qu’il a planté est mort dans sa prime jeunesse, remplacé par un autre, donc forcément « faux » !
Amoureuse de Nivarna et de Kurt Cobain, la voilà punkette, chargée de chaîne (arrachée à la chasse à eau des toilettes, elle lance la mode). Elle entreprend une carrière de chanteuse ( pour ne pas faire mentir la voyante de sa mère), compositrice, guitariste (elle ne sait pas jouer de l’instrument mais c’est d’autant mieux pour exprimer sa révolte). Joki est nettement plus doué comme chanteur que comme cosmonaute et il hurle de concert avec elle. Pauvres parents ! Et pendant ce temps l’apprentissage de la liberté et du capitalisme se poursuit.  Et la jeune fille dresse des listes selon son habitude, listes dans lesquelles Elitza Guieorguieva manie l’ironie d’une manière très réussie !

« C’est la transition démocratique. Tout est cher et tout le monde est pauvre.
Maintenant c’est officiel.
a) Il n’y a plus rien à manger
b) il n’y a plus rien à vendre dans les magasins
c) Et rien avec quoi acheter. »


Son père est au chômage, les coopératives et les usines ferment, les prix flambent, l’inflation réduit à rien les quelques petites économies faites pendant vingt ans par sa mère, on inaugure le premier Mc Donald en Bulgarie (quel progrès !), les mutras * se déchaînent, la maffia s’organise, les maffieux costume cravate arrivent au pouvoir  (démocratiquement) … Sa grand-mère la fait baptiser, son grand-père est désespéré, il perd les mots et le mémoire, et elle l’abandonne dans la rue, perdu, désorienté, par crainte d’être vue avec un communiste ! Sous le ton apparemment léger et le rire, la critique se fait plus précise et plus dure.

 « C’est la transition démocratique, la censure n’existe plus, tout le monde est satisfait : la ville se remplit de sex-shops, de boîtes d’entraîneuses, de bars à strip-tease, de vidéoclubs au contenu douteux mais curieux ». Toutes les joies de la liberté et du capitalisme !

Oui, le tableau est désastreux mais c’est conté avec un tel humour que l’on en rit.  J’ai adoré ce livre, la vision de la petite fille qui va peu à peu sortir de l’enfance et mieux appréhender ce monde qui l’entoure… L’humour naïf passe alors à l’ironie acerbe ! Au cours de ces quelques années, tout va changer dans ce pays qui sort du communisme, sinon pour le pire, en tout cas, pas pour le meilleur ! Rire de ce qui est sérieux, de ce qui fait mal, chercher à comprendre, renvoyer face à face le communisme et le capitalisme, tous deux effroyables dans leur manifestation dévoyée.


*Todor Jivkov 



"Todor Khristov Jivkov (Toдор Xpиcтoв Живков ) né le 7 septembre 1911 et mort le 5 août 1998, est un homme politique communiste bulgare. Il est durant 33 ans le principal dirigeant de la république populaire bulgare. Il est responsable d'un épuration ethnique contre les Turcs de Bulgarie." Voir ICI

 

 

 

* Mutra
 

"Sous le communisme, le mot bulgare mutra signifiait généralement « visage de mufle ». Il était utilisé comme une insulte pour décrire quelqu’un, généralement un homme, comme laid et répugnant. Après l’effondrement du communisme, dans les années 1990, le sens du mot a changé. La Bulgarie a entamé sa transition traumatisante d’une société et d’une économie communistes réglementées vers une démocratie.
C’est l'âge d'or des mutri bulgares. Ils se lancent dans des activités plus ou moins illégales. Ils se promènent dans les quartiers en offrant une « protection rémunérée ».
En un rien de temps, un réseau nébuleux de crime organisé impliquant la drogue, la prostitution, la contrebande, le trafic d’êtres humains, le trafic d’armes et l’exportation illégale de pétrole se met en place. Les mutri opèrent en toute impunité car ils savent que la police préfère fermer les yeux,  en échange de pots-de-vin et de faveurs.
Dans les années 2000 la Bulgarie a adhéré à l’Otan et à lUE, les mutris se sont adaptés. Ils  sont devenus des cols blancs. Leur argent a été blanchi. L’intégration entre le crime organisé et l’Etat est totale.
En 2009, Boyko Borisov devient premier ministre. Il agit à la tête de l’état comme un mutra, utilisant des agences pour extorquer les entreprises. Les mutras possèdent leur propre médias. La liberté d’expression a décliné. Et il en est toujours ainsi en 2020."

Voir ICI


 


dimanche 9 mars 2025

Marcel Théroux : Au nord du monde

 

Au nord du monde est un roman post-apocalyptique de Marcel Théroux que l’écrivain, documentariste, a imaginé à la suite d’un reportage dans la zone d’exclusion de Tchernobyl.

Quand elle était enfant, les parents de Makepeace, quakers, désirant vivre en harmonie avec leur foi et la nature, ont abandonné les Etats-Unis pour coloniser des terres accordées par les Russes en Sibérie dans le pays des Toungouses. Une ville s’est vite dressée dans cette région rude et gelée et qui est tout sauf idyllique !  Mais Makepeace se souvient de son enfance comme une période somme toute agréable, si ce n’est, à l’école, à cause des moqueries au sujet de son prénom. Puis tout a commencé à se déliter.  Maintenant, après la catastrophe qui semble avoir atteint le monde entier, elle vit seule dans une ville déserte où les rares apparitions humaines loin d’être les bienvenues sont dangereuses. Comme elle est grande et  forte, elle passe aisément pour un homme. De plus, elle a toujours une arme à la main pour se protéger et n’hésite pas à s’en servir. C’est ainsi qu’elle blesse Ping, un jeune chinois, le soigne et le recueille. Il faut encore savoir qu’après avoir vu un avion, elle part sur les routes dans l’espoir de retrouver des vestiges de la civilisation. Mais je ne veux pas en dévoiler plus et vous laisse la surprise de la découverte.

Le roman de Marcel Théroux décrit avec poésie la nature de ce pays nordique. La beauté qu’il nous révèle fait d’autant plus ressentir la perte de ce monde unique.

« La première nuit de gel au clair de lune, j’ai vu une aurore boréale tournoyer dans le ciel comme si Dieu étendait sa lessive à supposer que le Tout-Puissant dorme sur de  la mousseline verte. Plus tard, dans la saison, les aurores boréales seraient plus bigarrées mais je trouvais celle-là déjà belle. Il y a quelque chose de rassurant dans le mouvement, et le calme et la fluidité de ce motif de lumières dans le ciel me donnaient l’impression qu’on me caressait les cheveux. »

Plus tard, dans la zone contaminée, Makepeace prend conscience de la sottise de l’homme qui n’a pas su protéger la nature, qui n’a pas compris combien ce savoir accumulé au cours des millénaires était précieux.

« Tous ces petits faits arrachés à la terre. Le nom des plantes et des métaux, des pierres, des animaux et des oiseaux; le mouvement des planètes et des vagues. Tout cela réduit à néant, comme les mots d’un message primordial qu’un idiot aurait mis à laver avec son pantalon et aurait récupéré tout  brouillés. »

Le roman de Marcel Théroux est noir, très noir ! Déjà, dans un monde civilisé, la loi du plus fort est souvent la meilleure - selon la Fontaine (qui le déplore) ou Trump (qui s’en glorifie)- alors, on imagine sans peine combien la violence domine un monde où il n’y a plus de frein au mal, plus d’éthique, plus de solidarité et où il faut se battre pour survivre. Dans le camp de concentration où elle est prisonnière, Makepeace se lie d’amitié avec Chamsoudine, ancien chirurgien, homme jadis fortuné :

«Je lui ai dit que, d’après mes observations, il ne fallait pas plus de trois jours avant que le désespoir et la faim sapent tout instinct civilisé chez une personne. Il a souri et répondu que j’avais une vision sombre de la nature humaine et que, d’après son expérience, c’était plutôt quatre. »

Si pour les critiques, le roman de Marcel Théroux s’apparente à un western des pays froids, chevauchée dans des régions inhospitalières, rencontres, aventures, bagarres et coups de feu, violence et mort, il y a bien sûr, la dimension post-apocalyptique du roman qui domine et à laquelle on ne peut échapper.  Au nord du monde décrit, malgré le courage et la ténacité de l’héroïne, un monde définitivement perdu pour l'être humain. La civilisation a disparu et l’homme ne peut en vouloir qu’à lui-même. Pourtant dans cette noirceur absolue, Marcel Théroux laisse subsister un espoir. Il faut tout reprendre à zéro, semble-t-il dire, tout recommencer à la base, comme le fera peut-être la fille de Makepeace, partant à cheval vers le nord ! Un beau roman qui ne fait pas toujours plaisir tant il pose un regard pessimiste et sans concession sur un univers qui va à sa perte mais dont la lecture est prenante.


  



vendredi 7 mars 2025

Carmen Castillo : Un jour d'octobre à Santiago

Carmen Castillo
 

Carmen Castillo est une écrivaine et cinéaste franco-chilienne, née à Santagio du Chili. Amie de Beatriz, la fille du président Allende, elle a travaillé un temps au ministère des affaires étrangères au palais de la Moneda. Elle a été la compagne de deux dirigeants du MIR, mouvement de la gauche révolutionnaire : Andres Pascal Allende, neveu du président avec qui elle a eu une fille Camila et Miguel Enriquez.

 

Miguel Enriquez, un des chefs du MIR

Dans son livre Un jour d’octobre à Santiago, alors qu’elle est en exil en France, elle raconte comment elle a choisi avec son compagnon de vivre dans la clandestinité et de continuer la lutte armée jusqu’à ce jour du 5 Octobre 1974 ou Miguel est tué et elle gravement blessé lors d’une attaque de la DINA (police militaire du général Pinochet.). 

La première partie de ce récit a pour titre la maison bleue de Santa Fé, là, où elle a vécu pendant un an après le coup d’état et éprouvé malgré le chagrin et la violence, « un bonheur paisible, intense », avec leurs deux petites filles : Camila (qui est la fille de Carmen Castillo et d’Andres Allende) et Javeira (fille d'un premier mariage de Miguel Enriquez). Mais le danger est trop grand, les enfants des révolutionnaires sont torturés pour faire parler les parents, et les deux petites filles sont envoyées en exil via l’ambassade d’Italie pour assurer leur sécurité. Dans un récit où le danger guette à chaque instant, Carmen Castillo, entre retour dans le passé et présent, nous fait vivre le quotidien de la lutte révolutionnaire, l’organisation, les changements de domicile et d’identité, les pièges, les trahisons, les arrestations de leurs amis, la mort, les disparitions, le chagrin et la peur mais aussi la force morale, la résistance, toujours présente, et qui font partie de la vie. Et elle revit comme un film le déroulement de la sinistre journée du coup d'état 11 septembre 1973. Parfois l’écrivaine emploie la troisième personne pour parler d’elle-même comme si elle voulait mettre une distance entre elle et elle-même, tenir à distance ce qu’elle a vécu.

"Dix mois de vie à la maison bleu ciel de Santa Fé. Et tout ce qu’on peut attendre le long d’une vie, je l’ai vécu, là.
Chaque action de nos jours, le moindre geste dans ce lieu, entrepris comme si c’était le dernier. Et c’était cela simplement notre bonheur.
Pas une compromission, pas une légèreté, pas une défaillance à réaménager le lendemain, on n’avait pas le temps."


La seconde partie La maison José Domingo Canas est une plongée dans l’horreur. Il s’agit de la prison où les révolutionnaires  sont torturés et maintenus en vie le plus longtemps possible afin d’obtenir des aveux. Il y a les amis, membres du MIR, El Chico qui résistera à la torture jusqu’à la mort, Luisa, Amélia, Jaime, Carolina … Une solidarité étroite les unit qui étonne même leurs gardiens. Il y a aussi la Flaca Alexandra qui a cédé sous les tortures, dénonce ses amis et collabore avec les ennemis. 

Mais malgré les détours tout nous ramène au but de ce récit : « Je me dois de refaire, à mes risques et périls, l’interminable et si court enchaînement qui mena au samedi 5 Octobre » quand la police prend d’assaut la maison bleue, Miguel tué en combattant, elle gravement blessée et enceinte conduite à l’hôpital. Et puis, face à la pression internationale, elle est libérée  et expédiée en exil, son bébé meurt peu de temps après.

Enfin la troisième partie La rue Claude-Bernard  où est situé l’appartement dans laquelle elle est hébergée à Paris, elle et d’autres exilés comme Simon, le frère de Miguel.

 

Laura, députée socialiste, soeur du président Allende

Elle va revoir sa fille Camila hébergée chez son père Andrès à la Havane où la famille s’est réfugiée. Javiera, elle, est au Mexique. A Cuba, elle rencontre aussi Laura Allende, la grand-mère de Camila, mère d’Andres, la soeur du président Allende, un beau personnage plein de force, de grandeur, de résilience. Laura Allende raconte l'enterrement de son frère.

"Le cimetière à Viña del Mar. Les quatre proches familiers et des marins en grand nombre. Laurica cueille une petite fleur jaune, une primevère, dans l'herbe qui entoure la sépulture. Elle la met sur le cercueil. La fleur tombe au fond de la fosse. Les soldats ricanent. Laurita s'exclame : Vous devriez avoir honte !... honte d'enterrer ainsi le président du Chili !... Et après un silence, lentement : Ce n'est pas cela l'important... quoi que vous fassiez, le peuple chilien ne l'oublie ni ne l'oubliera.

Elle n'a pas fini ces mots que le fossoyeur saute dans la fosse, ramasse la fleur jaune et la remet sur le cercueil. Personne ne bouge."

Carmen s’apprivoise à la vie en France au point que lorsqu’elle sera à nouveau autorisée à revenir au Chili, elle ne reconnaît plus son pays, la vie a  continué là-bas sans elle. Mais elle ne cesse pas de poursuivre son but, son devoir de mémoire, demandant à tous ceux qui souhaitent lui répondre : Où étais-tu le 5 Octobre ?

 

Challenge chilien chez Je Lis Je blogue

mercredi 5 mars 2025

Kapka Kassabova : Elixir dans la vallée à la fin des temps


 

Kapka Kassabova avec Elixir dans la vallée à la fin des temps nous emmène en Bulgarie, dans les montagnes des Rhodopes, au coeur de la vallée où coule le Mesta et où vivent les Pomaks, ce peuple enraciné dans la terre, musulman mais non turcophones. Le pays des 742 plantes médicinales. Dans ces paysages encore sauvages malgré l’exploitation intensive qui eut lieu pendant la période communiste, tout paraît connecté, les sommets, les gens et les plantes si bien que l’on y sent quelque chose de « l’ancien temps »

"La Bulgarie, comme je l'ai découvert, est un des premiers pays exportateurs de plantes médicinales et culinaires. Nombre d'entre elles sont toujours récoltées dans la nature, et le bassin de la Mesta est une plaque tournante dans ce secteur du fait de sa richesse écologique : trois chaînes de montagnes, une superposition de plusieurs microclimats, le tout quasiment épargné par l'industrie. Et même par la mécanisation ou la modernité jusque dans les années 1950. L'Etat communiste exploita ensuite la vallée au maximum ".

Dans cet ouvrage, Kapaka Kassabova, écrivain bulgare, installée en Ecosse, part à la recherche de son enfance, des souvenirs de sa grand-mère qui l’a initiée à la cueillette des plantes et à leur savoir, en quête de cet élixir qui est le titre de son ouvrage et dont la composante essentielle est « l’émerveillement » . Mais ajoute-t-elle  : « C’est à vous de le chercher ». « Tout ce que je sais, c’est que notre Terre le fabrique dans son chaudron, en permanence, partout, et que vous faites partie de la recette insensée ».
Elle entre en contact avec les derniers cueilleurs, détenteurs de ce savoir ancestral : les guérisseuses, magiciennes ou sorcières, ou encore saintes, Stoyna, Vanga qui sont vénérées, mêlant christianisme et paganisme. Rocky est l’ensorceleur, Emin, celui qui murmure à l’oreille des chevaux, Tatie Salé est une charmante sorcière au nez crochu et aux yeux chafouins. Tout le pays baigne dans la magie et l’animisme, ce qui n’empêche pas pourtant une approche réaliste des souffrances du peuple Pomak et des difficultés économiques qu’il continue à éprouver.
Dans ce pays, l’Histoire paraît déposer différentes strates qui se superposent pour former un tout mais l’on peut sentir la présence de chacune de ces périodes en restant attentifs : Qui vit sans la nature oublie. Qui vient en pareil endroit se souvient. »

Nous nous intéresserons ici, en particulier, à la Grèce antique si étroitement liée au Rhodopes dont elle est limitrophe, dans ce pays qui vit naître Orphée et où se trouve la grotte ouvrant sur les Enfers. Les plantes entretiennent avec la mythologie des liens étroits : le pissenlit nourrit Thésée et lui donne la force de s’attaquer au minotaure, l’Iris, déesse de l’arc-en-ciel est l’alchimiste originelle, archétype de la Tempérance, figure ailée munie de deux coupes, l’Atropa belladonne évoque les trois Parques, la première déroule le fil, la deuxième le tisse, la troisième Atropa la coupe…
Mais d’autres époques apparaissent.  Les différentes croyances se mêlent,  les formules rituelles, la magie changent d’époque, la samodiva, la nymphe des bois de ce pays n’a rien de bienveillant et change d’apparence  à sa guise, héritière de  la Grecque Thracé, fille du Dieu Oceanos.

Les Rhodopes : les massifs de Pirin et Rila

C’est ainsi que l’écrivaine nous invite à cette communion avec la nature qui ne peut se faire que par l’écoute et le respect. Tout y est musique. La Nature de Kapka Kassabova est bruissante de vie, de paroles, d’incantations :  les fourmis chantent, les pierres, les fleurs, les arbres parlent, révèlent leurs secrets à ceux qui savent les écouter.
La montagne jouait ses variations pour nous. Le Pirin était un conteur virtuose, avec ses fleuves, ses sources, sa palette de verts, ses ruines et ses fantômes.

 La rumeur de la forêt sans cesse en mouvement est « un pas de danse du soleil sur la mousse », les astres appellent, l’arbre sacré, le chinar, vibre, le géranium confie ses pouvoirs à la guérisseuse Vanga « Je sers à calmer les nerfs. Faites-le savoir autour de vous, il me dit. »  Rocky l’Ensorceleur lui confie «  Toutes les plantes sont amour. Mais tu dois apprendre à parler leur langue. Voilà c’est tout pour cette fois. J’espère que ce n’est pas trop tard. ».

Outre la connaissance des plantes médicales, Elixir est un hymne à la nature, un panier de goûts et de saveurs, un enchantement des yeux et des oreilles,  un appel à tous les sens, à la vie. Et j'aime ce style poétique !

La lune semblait pétrie de beurre baratté. Je sentais la sève monter dans les pins, comme le sang afflue vers l'épiderme. Aux phases de pleine lune, tout ce qui est là est doublement là.

« Mon dos absorbait la chaleur du sol et je me muais en ver de terre. Le bruissement de la forêt de haricots verts, l'odeur de résine du tas de bois, le sirop de pin de Zaidé dans le bocal, les hirondelles décrivant en silence des cercles sur les cimes – tout frémissait dans la lumière telle une toile d'araignée, puis volait en éclats à mon réveil, visage brûlé, soleil éclipsé ».

Vanga : « Pas de fleurs coupées surtout, précisait-elle. Elles sont comme des enfants aux mains tranchées… Apportez-moi une plante vivante. »

 

Voir le billet de Miriam Ici 

 

 


 

dimanche 2 mars 2025

Ivan Vazov : Sous le joug

 

Je n’ai pas encore beaucoup lu de livres d’écrivains bulgares mais assez pour avoir déjà un chouchou : Ivan Vazov : Sous le joug, un classique de la littérature bulgare que j’ai énormément aimé. C’est donc par lui que je commence.


V. Antonov : Les insurgés de 1876

L’ouvrage a été écrit par Ivan Vazov pendant son exil en Ukraine, à Odessa en 1888 et est paru en 1890. Vazov y raconte le soulèvement bulgare d’Avril 1876 contre l’empire ottoman qui fait régner une oppression terrible sur le peuple bulgare depuis le XIV siècle. Les paysans, artisans, tailleurs, marchands, hommes du peuple, habitués à la soumission, vont être gagnés par l’enthousiasme d’une poignée d’intellectuels pour la liberté. La révolte s’organise partout en Bulgarie et pour nous dans le petit village de Bela Cherkva  (c’est le village natal de Vazov, Sopot, que l'écrivain a rebaptisé) et l’on ne peut pas dire que ce soit dans la discrétion la plus totale. Tout le monde finit pas être au courant, y compris le Bey qui les considère avec mépris et les laisse faire. "Charivari de lièvres"  disaient les effendi débonnaires».  

 

Bashibouzouks, mercenaires turcs
 

Comment se battre, en effet, contre l’un des plus puissants empires du monde avec son armée régulière de soldats bien entraînés, appuyée par des mercenaires, ses bachibouzouks sanguinaires, tous armés jusqu’aux dents, quand on n’a que quelques vieilles pétoires et des canons creusés dans des troncs de cerisiers !  Et oui, j’ai bien dit, des cerisiers !  coupés par des patriotes dans leur jardin et évidés par le tonnelier qui les cercle de fer comme un tonneau !  

 

Canon-cerisier


C’est le géant Borimetchka - son nom signifie le tueur d’ours car il s’est battu à mains nus contre un ours- personnage pittoresque du roman, qui monte le cerisier sur ses épaules au sommet de la montagne, à Zli-Dol, au-dessus de la ville de Klissoura. Et le premier essai de ce canon improvisé donne lieu à une scène hilarante. Si vous cherchez, comme je l'ai fait, Zli-Dol, Sopot et Klissoura sur la carte, vous vous  trouverez en face du monument à la gloire du soulèvement de 1876, de la statue du géant Borimetchka et de cerisiers-canons.


Le géant Borimetchka 

 

" Dans l’attente palpitante du grondement, les insurgés s’écartèrent un peu, quelques-uns se couchèrent dans les tranchées pour ne rien voir, certains même se bouchèrent les oreilles, fermèrent les yeux. Quelques secondes se passèrent dans une atroce, indicible tension… La fumée bleue continuait à planer au-dessus de la mèche, mais n’arrivait pas à l’allumer. Les coeurs battaient à se rompre. Enfin une petite flamme blanche courut à la mèche, celle-ci s’enfuma… et le canon rendit un son grêle, grognon, rauque comme celui d’une planche sèche qu’on rompt, quelque chose de semblable à une toux, puis il s’enveloppa d’une épaisse fumée.  Sous la pression de cette toux, le canon se fendit et cracha sa charge à quelques pas de distance."

Comment Ivan Vazov nous intéresse à ce grand moment de l’Histoire bulgare ? Et bien en nous le faisant vivre au niveau des personnages. Notre héros Ivan Kralich, un beau jeune homme, ardent révolutionnaire, courageux, au sens de l’honneur rigoureux, s’est échappé de la forteresse de Dyabakir en Anatolie et se cache sous le nom de Boïtcho Ognianov à Bela Cherkva. Là, il rencontre Rada Gozpojina, jeune orpheline élevée au couvent, en tombe amoureux et réciproquement. Les patriotes l’aident à s’intégrer et à organiser la rébellion. Le tchorbajdi Marko lui procure un poste d’instituteur. Le médecin Sokolov, un personnage farfelu, qui élève une ourse et n’a d’ailleurs aucun diplôme de médecin, devient son ami, de même Kandov, un jeune socialiste idéaliste dont l’amour fou pour Rada causera bien des tourments.  J'aime la consultation médicale de Kandov qui demande au médecin comment ne plus être amoureux. Et puis tous les personnages du village qui constituent une humanité vivante, bruyante, bavarde, parfois médisante, et toujours active dont l’écrivain se fait proche. Tout ce monde se trouve gagné par une effervescence révolutionnaire, un désir de liberté, une volonté de relever la tête, de secouer le joug.

"Submergeant tout, l'enthousiasme prenait chaque jour une force nouvelle. Les préparatifs suivaient; pour fondre des balles, vieux et jeunes laissaient inachevé le labour de leurs champs et les citadins plantaient là leur commerce. Des courriers secrets faisaient chaque jour la navette entre les divers groupements et le comité central de Panaguritché; la police clandestine surveillait la police officielle."

"... le printemps venu très tôt cette année-là, avait transformé la Thrace en un jardin de paradis. Plus merveilleuses et luxuriantes que jamais, les roseraies étaient épanouies. Les plaines et les champs portaient des moissons magnifiques, que jamais personne ne récolterait."
 

Mais ce qui m’a surprise dans ce roman, c’est que Ivan Vazov nous décrivant ce soulèvement tragique parvient à nous faire rire car l’humour est maintes fois présent dans le roman et donne des scènes savoureuses.

Ainsi le Géant Borimetchka veut épouser Raika mais il n’ose pas la demander en mariage. La jeune fille attend la noce avec impatience, les parents sont plus que consentants mais…! Tout le village est dans l’attente, ses amis l’encouragent, mais… Non, il est trop timide. Alors ? Il l’enlève ! C’est la joie !  Il semble qu'un enlèvement soit plus facile qu'une demande en mariage ! On fait la fête.

Un grand morceau de bravoure est aussi la représentation théâtrale du Martyre de Geneviève ( de Brabant) joué par les hommes du village. Boïtchko joue le rôle du comte et y gagne son surnom et la sympathie du village. Et qu’en est-il de Fratu, le malheureux interprète de Golo qui martyrise la comtesse Geneviève et la jette en prison ?  Le public pleure, l'accable d’invectives. Le Bey invité -même s’il ne comprend pas le bulgare- pleure de son côté et s’étonne que l’on ne pende pas ce misérable. C'est ce qu'il aurait fait, lui !Une commère « s’approche de la mère de Fratu et lui dit : Dis donc Tana, ce n’est pas bien beau la conduite de ton Fratu ! Quel mal lui a donc fait la petite femme ? »

 

Antoni Potiovski : le massacre de Batak

 

Mais sous le rire, l’on sent tout l’amour que l'écrivain éprouve pour son pays, la nostalgie de cette époque héroïque et la souffrance de la défaite, toute l’admiration pour ce peuple courageux et fou qui s’est lancé dans une bataille où il n’avait aucune chance de triompher ! Quitte à le regretter après ! Les dirigeants de ce soulèvement, appelés les apôtres, -qui pour la plupart ont donné leur vie -  savaient bien pourtant que la bataille était perdue d’avance mais ils voulaient obtenir le soutien de l’Europe et de la Russie en attirant leur attention sur la barbarie turque. Plus de 30 000 victimes, des dizaines de villages dévastés, comme Batak dont les habitants furent tous égorgés, cinq mille enfants, femmes et vieillards. Ainsi Victor Hugo en Mai 1876 dénonce les massacres, de plus, il plaide contre les empires meurtriers pour une constitution des Etats-Unis d’Europe. Dostoiewski et Tolstoï interviennent aussi. Les russes, à la suite du soulèvement, déclarent la guerre aux Turcs (1877-1878), ce qui entraînera la libération de la Bulgarie.

Tous les ingrédients sont là pour faire de ce roman un plaisir de lecture, émotion, aventures, héroïsme, trahisons, dangers, souffrances, amitié, amour et rire mais aussi connaissance d’un peuple, de ses coutumes et ses croyances, rencontre de ses héros et de ses disparus, de sa révolte contre le joug qui le soumet.  

 


 

Chez Moka

 


Lu  dans une vieille collection club bibliophile de France en deux tomes de plus de 250 pages chacun.

 

samedi 1 mars 2025

Joyce Carol Oates : Le petit paradis

 


Le roman de Joyce Carol Oates Le petit paradis est une dystopie qui dépeint un monde assez effrayant située dans une Amérique « reconstituée » (à la manière trumpiste, je suppose, englobant les pays voisins ?) où règne un totalitarisme qui ne permet aucun échappatoire. Nous sommes en 2039. Aucun individu ne doit échapper à la norme et c’est bien ce qui est difficile pour la jeune héroïne de notre histoire, Adriane Strohl, qui sort major de sa promotion. Autant dire qu’elle se distingue et devient suspecte aux yeux du gouvernement. Quand, en plus, elle conçoit son discours de fin de promo en forme d’interrogations, elle est jugée comme carrément subversive.  Il faut dire qu’elle a déjà déjà un père, trop brillant chirurgien, rétrogradé IM, Individu Marqué, un oncle disparu, « vaporisé »  … La punition ne va pas tarder. Elle sera IE, Individu Exilé. Les trop nombreux sigles employés sont lassants mais c'est un détail et heureusement cela s'arrête vite !.

 Elle est envoyée dans le passé quatre-vingts ans plus tôt, en 1959. Constamment surveillée, obligée d’adopter une nouvelle identité, elle s’appelle désormais Mary Ellen, elle doit partager le dortoir de jeunes filles de l’époque et étudier la psychologie dans une université du Wisconsin. Aux yeux de sa famille, elle a été vaporisée ! Alors, quand elle découvre que son professeur Ira Wolfman est un exilé comme elle, elle en tombe amoureuse. Oui, c’est peu original !

L’originalité du roman vient de la manière de peindre le passé. Foin de la nostalgie du bon vieux temps, et des soupirs écolos énamourés d’un monde moins technique ! La découverte de la machine à écrire en lieu et place de l’ordinateur par Adriana est amusante ! Le monde universitaire que décrit Joyce Carol Oates est celui où l’écrivaine a fait elle-même ses études,  à l’université du Wisconsin, à la même époque. Elle nous la raconte dans son roman Je vous emmène. ICI
Dans les années 1950/60, finalement, le sort des filles n’est pas très enviable. Adriana décrit avec stupéfaction les gaines et les soutiens-gorge pointus qui briment le corps des jeunes filles. Une fille  enceinte  ?  (cela ne se dit pas !) est obligée de partir de l’université.
Le sexisme règne de la part des professeurs et leurs commentaires sont désobligeants pour la gent féminine. Les filles y sont peu nombreuses. Dans le cours de Wolfman, elles ne sont que trois. Pas une seule femme professeur.

« ... la logique n’est pas un cours pour femme. Comme les maths et la physique, l’ingénierie - nos cerveaux ne sont pas adaptés à ce genre de calculs »  explique Miss Steadman.

Adriana crée le scandale en remettant en cause les observations des psychologues (tous des hommes) et le rôle du père.
La mère, « dans l’incapacité à être une  « bonne mère » est  soupçonnée de causer l’autisme chez certains enfants ».
 « Je ne parviens pas à imaginer une situation expérimentale où ces psychologues auraient pu observer « les mères à l’oeuvre ». Les pères n’auraient-ils pas « oeuvré » conjointement eux aussi ? »  s’insurge  Adriana.

L’obscurantisme règne. Les théories d’Einstein sont réfutées. C’est « une logique juive » dit l’un des professeurs ! L’homosexualité est considérée comme une déviance et «soignée» par électrochocs « jusqu’à ce qu’ils soient réduits à une masse de nerfs tremblotante. » Les malades mentaux sont lobotomisés.
 

Ce parallèle entre la société totalitaire et celle du passé est ce qu’il y a de plus intéressant dans Le petit paradis dont on se doute bien que le titre est à prendre comme une antiphrase !

 Je l’ai lu sans déplaisir, désireuse de savoir ce qui allait se passer ! Par contre, j’ai trouvé certains passages trop démonstratifs. Les personnages sont peu attachants : Adriana toujours en train de vouloir briller, persuadée de sa supériorité intellectuelle, Wolfman lui carrément antipathique ! Mais surtout, surtout, ils me sont apparus un peu schématiques, ils sont des idées, non des personnages vivants. Bref ! Moi qui aime tant Joyce Carol Oates, je n’ai pas été entièrement convaincue.

Kathel a beaucoup plus aimé le livre que moi. Voir ici
 

Participation à Objectif SF 2025 chez Sandrine

 


 

 



jeudi 27 février 2025

Bulgarie : Les peintres bulgares (1) : Vladimir Dimitrov-Maïstora dit Le Maître et Radi Nedelchev

 

Vladimir Dimitrov-Maistora (Le Maître)


Pour composer le logo du challenge Bulgarie, j'ai utilisé les images de deux peintres bulgares que j'espère bien rencontrer dans les musées de Sofia au mois de Mai.  Je ne les connais absolument pas en dehors de mes recherches sur le net mais je les aime beaucoup.


Vladimir Dimitrov-Maistora dit Le Maître (1882-1920)
 
 
Vladimir Dimitrov-Maïstora dit Le Maître


Vladimir Dimitriov Le Maître est l'un des plus grands peintres de Bulgarie. Il est appelé Le Maître dès ses études à l'école des Beaux-Arts de Sofia tant son talent était déjà affirmé. Il est né en 1882 dans le village de  Chichkovtsi  dans le district de Kustendil en Bulgarie occidentale où est aménagée à l'heure actuelle une maison-musée exposant ses oeuvres.  C'est là que le peintre a puisé son inspiration  pour ses tableaux de jeunes filles aux fleurs et aux fruits, ses portraits de paysans et de paysannes, ses "madones". Il peint les coutumes locales, la vie quotidienne de ce peuple rural. Il est adepte du tolstoïsme et refuse la richesse, vit simplement, est connu pour sa générosité et son grand coeur.


Vladimir Dimitrov Le maître : La madone bulgare


Ce tableau a porté le nom de Jeune fille de Chichkovtsi avant d'être envoyé à la biennale de Vienne où il revint couronné d'une médaille d'or et avec le titre de : La madone bulgare.

“La jeune fille peinte par le Maître est Dafina Kotéva du village de Chichkovtsi qui à l’époque avait à peine 14 ans. Le tableau dégage une énorme douceur, un visage blême sur fond d’une nature vibrante en couleurs éclatantes en arrière-plan. La jeune fille est représentée en gris et ocre, ce sont également les couleurs de sa tenue, un costume traditionnel, son visage et ses mains. On ne voit pas de tresses bigarrées qui caractérisent les costumes de la région de Kustendil. Il y a un contraste bizarre entre la fille qui évoque un spectre diaphane et l’arrière-plan de pommes mûres et de fleurs écarlates." voir ICI 

La jeune fille est atteinte de la tuberculose et meurt peu de temps après que Le Maître a réalisé son portrait. Sa famille était pauvre et n'avait pas de photo d'elle. Le Maître a peint le visage de Dafina pour le donner à ses parents. 


Dafina Kotéva : La madone bulgare


Lorsqu'on s'approche du tableau on voit dans ses yeux des pommes rouges cerclées de petites feuilles vertes, symbole de l'arbre de la connaissance.

Vladimir Dimitrov Le Maître


Il existe quelque chose de très particulier dans les œuvres du Maître – non seulement il crée son propre style en tant que peintre mais il arrive aussi à y incarner des caractéristiques nationales. Il déclare – je veux peindre les hommes sur mes tableaux de manière à ce qu’on comprenne tout de suite que ce sont des Bulgares indique Svetla Alexandrova – commissaire à la galerie d’art  « Vladimir Dimitrov – le Maître » à Kustendil. ICI

Vladimir Dimitrov Le Maître


Radi Nedelchev ( 1938_ 2022 )


Radi Nedelchev

Radi Nedelchev est né en 1938 à Ezertché dans l'oblast de Razgrad. Il s'installe à Roussé en 1954 dans la cinquième ville de Bulgarie, au nord-est du pays, où il meurt en 2022. Il est surtout connu pour ses oeuvres de style naïf qui représentent des scènes de la vie quotidienne, des fêtes populaires et des paysages.

Il a eu des expositions dans cinq pays et a été acheté par des collectionneurs étrangers. Sous le régime communiste, le manque de visibilité dans les pays occidentaux l'empêchent faire la carrière qu'il aurait méritée. Je n'ai pas trouvé beaucoup de renseignements sur lui en français à part wikipedia ICI.

 

Radi Nedelchev


Radi Nedelchev



Radi Nedelchev


Radi Nedelchev


Radi Nedelchev